Faire silence
Faire silence, de
temps en temps, c’est comme prendre du recul, c’est comme
éloigner les choses de son regard pour mieux les percevoir, mais
sans pour autant s’en éloigner soi-même.
Lors de mon
évolution dans la découverte de la peinture, j’avais expérimenté
déjà cette façon de resserrer les paupières jusqu’à ne laisser qu’une
fente de perception diffuse de la lumière et de la vision. Il est
étonnant de constater comme la perception des lointains ainsi
observée, dans l’objectif de peindre un paysage, par exemple, nous
aide à mettre en évidence ce qui deviendra leur traduction sur la
toile, cet estompage vers le bleu des éloignements, avec tout
l’intérêt de la perte de perception des détails qui traduira
encore mieux la troisième dimension nécessaire à la profondeur
sans laquelle tout semblerait sur le même plan et tomberait dans la
platitude de l’excès des détails insignifiants et des éléments
tous mis sur un même plan..
Je crois que
laisser venir parfois le silence et s’y laisser envahir procède de
la même démarche de prise de conscience de cette troisième
dimension, celle du ressenti.
Il est aussi à
noter que la musique se nourrit des silences.
La rythmique ne
se conçoit guère sans les silences, soupirs, demi-soupirs, pauses,
demi-pauses. Les silences ainsi hiérarchisés dans leurs durées au
même titre que les notes elles-mêmes viennent enrichir la musique,
comme dans l’exercice du contretemps par exemple. Le silence est
bien un élément intégrant à part entière de la rythmique.
Le silence n’est
donc pas absence, il peut aider à traduire questionnements,
approbations, prolongements, ponctuations. Le silence est une façon,
en définitive, de participer à la partition, pleinement et
entièrement, mais différemment, et pour un « certain »
temps, sans devenir perpétuel pour autant, je vous rassure, il donne
sens, d’une part, et il fait du bien d’autre part.
J’ai aussi à
évoquer une autre relation au silence. Celui de la mer, je veux dire
au large, en pleine mer. Loin sans doute de l’idée que beaucoup
s’en font.
Ceux qui ne sont
jamais allés sur un voilier en pleine mer se font peut-être une
idée particulière d’une forme de silence alors que c’est au
contraire un de ces boucans parfois. Bruit de l’étrave du voilier
qui ressort de la vague dans un jaillissement d’écume comme s’il
transpirait dans l’effort puis fonce à nouveau comme tête
baissée, avec vaillance, brave compagnon, dans la suivante, par gros
temps, ou bruit doux et berçant de l’écoulement de l’eau le
long de la coque par petit temps.
Tap-tap de
l’objet qui cogne contre une cloison en bas, dans la cabine, et
dont on ne parviendra jamais à trouver lequel c’est. Grincements
comme une douleur des différents apparaux du gréement, comme si le
voilier m’interpellait pour me dire « Hé , fais quelque
chose, ne me laisses pas comme ça. »
Tout ce bruit est
aussi une composante du silence, celui que l’on a dans la tête,
vidée de tous les « potins du village » pour le temps
que durera la route, tout absorbé, accaparé à faire marcher le
bateau et absolument à rien d’autre, libéré de la contrainte
mécanico-temporelle, plus de jalonnements d’heures de repas, plus
d’heure d’aller se coucher, juste un cycle solaire et stellaire
qui nous englobe et nous fait percevoir qu’on n’est qu’une
particule élémentaire appartenant à l’univers, et plus aucune
appartenance d’aucune autre sorte.
Faire silence
dans cette espèce de vacarme comme pour intégrer la partition d’une
musique de la liberté.
Alors … faire
silence ainsi, ça se cultive, il faut s’y préparer, une fois que
le bateau commence à être vraiment prêt commencer à faire ce vide
de soi, en commençant à exercer progressivement la nécessaire
projection mentale vers ce que seront les jours, les minutes, les
heures, les secondes, dé-hiérachisées par ces dilatations
temporelles.
De tous ces
silences-là, que j’ai commencé à expérimenter dans mes
précédents périples, j’ai eu le sentiment d’en revenir serein,
le cerveau limpide et propre comme un sou neuf, et surtout - même si cela est paradoxal car certains y verront peut-être un exercice
égoïste de la liberté - encore plus apte qu’avant à l’empathie,
à l’écoute, disponible, comme une musique qui repartirait de plus
belle, après une de ces ponctuations silencieuses.
Faire silence, le
temps qu’il faut, un nécessaire contretemps, pour mieux revenir
dans l’apaisement.
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